Le texte qui suit est extrait d'un
numéro hors série de Québec français portant sur le renouvellement de
l'enseignement du français et, en particulier, de l'enseignement de la
grammaire au primaire et au secondaire. Son auteure, Suzanne-G. Chartrand,
est didacticienne du français et co-auteure de la partie « Grammaire de
la phrase et du texte » du programme d'études de français du secondaire
(1995). La reproduction de cet extrait a été autorisée par les Publications
Québec français.
Les composantes d'une grammaire du texte
Suzanne-G. Chartrand
Jusqu'à présent, l'étude grammaticale à l'école a
porté essentiellement sur le mot et sur la phrase. Munis de ces savoirs
grammaticaux, les élèves devaient pouvoir écrire des textes grammaticalement
corrects. Or, on le sait, un texte est bien autre chose qu'une suite de
phrases grammaticalement correctes et ayant un sens intelligible. C'est une
unité qui a ses propres lois dont certaines relèvent de son type (texte
narratif, argumentatif...) et de son genre (conte, annonce publicitaire,
fiche signalétique, éditorial, etc.) alors que d'autres relèvent de la
grammaire, mais d'une grammaire du texte. Il est donc nécessaire de définir
les règles de structuration d'un texte et de ce qui fait sa cohérence
(Vandendorpe, 1995 ; Genevay, 1995).
Les quatre règles de cohérence du texte
Qu'est-ce qu'un texte ? Un
texte est un ensemble structuré et cohérent de phrases véhiculant un message
et réalisant une intention de communication.
Le nouveau Programme d'études propose de
développer les connaissances explicites des élèves sur les principaux
éléments qui constituent la grammaire du texte. Plusieurs sont déjà bien
connus des élèves. Le temps et l'importance à accorder à chacun d'eux
dépendront des élèves, de leurs acquis et de leurs lacunes. On procédera de
la même façon que pour la grammaire de la phrase : observation,
réflexion, apprentissage systématique des règles et des mécanismes,
exercisation et mise en application guidée des nouvelles connaissances dans
des textes.
Les marques graphiques d'organisation du texte
Tout texte de plus d'une phrase présente des marques
extérieures qui visent à le faire reconnaître comme un tout. En général, un
texte comporte un titre et souvent d'autres intitulés (sous-titre, surtitre,
intertitre), la plupart du temps sous la forme de phrases non verbales. La
présence de ces marques aide souvent à caractériser le type et le genre de
texte. Un autre facteur de différenciation d'un texte provient de sa
disposition graphique (entre autres, la division en paragraphes) et du
recours à divers procédés typographiques et d'illustrations. Une nouvelle
journalistique, un article de vulgarisation scientifique, une publicité, un
poème, un chapitre dans un manuel de géographie, un roman n'utilisent pas les
mêmes ressources graphiques et typographiques.
On peut faire observer des textes disparates et les
faire classer à partir de leur présentation graphique et typographique afin
d'amener les élèves à saisir les différentes façons de présenter un texte
pour susciter l'attention du lecteur en fonction de son genre et donc, de la
situation de communication dans lequel il s'insère.
Découper un texte en paragraphes
Un élément important qui révèle l'organisation d'un
texte est sans contredit le paragraphe. C'est un repère visuel important pour
le lecteur. Le producteur du texte indique qu'une nouvelle articulation dans
le texte mérite d'être soulignée, qu'on passe à autre chose. La division en
paragraphes est une habileté qui s'acquiert ; elle doit être enseignée
de façon explicite. Il ne suffit pas de dire aux élèves de faire des
paragraphes, de découper leur texte, etc., pour qu'ils sachent comment le
faire. Il est nécessaire de faire objectiver la nécessité de segmenter un
texte en paragraphes et d'expliquer à partir de quels principes cela peut
être fait.
Si l'on définit le paragraphe comme un espace de
texte compris entre deux alinéas, on peut dire qu'il répond aux fonctions
suivantes :
Une fois clarifié le rôle du paragraphe, que
pouvons-nous dire de son fonctionnement ? On peut distinguer deux
aspects :
Les organisateurs textuels
Parmi tous les marqueurs de relation, tels que
définis dans le programme de 1980, certains ont pour fonction de révéler
l'organisation du texte. Dans ce programme, on les a distingués et nommés des
« organisateurs textuels ». Ce sont des phrases, des groupes de
mots ou des mots qui indiquent l'organisation d'un texte. Ils annoncent un
nouveau passage, résument, marquent une transition, concluent... Ils sont
souvent placés au début ou à la fin d'un paragraphe. Ils peuvent indiquer
que, dans une même séquence textuelle, on change de lieu, de temps, d'aspect
traité, d'argument, etc., ou souligner explicitement qu'on change de sujet (en
ce qui concerne... quant à...) ou encore indiquer qu'on veut clore le
passage (enfin, en conclusion...). En ce sens, ils jouent un rôle
discursif différent des marqueurs de relation ; ils interviennent sur
des passages du texte qui sont présentés comme des unités cohérentes.
Précisons qu'un même mot hors contexte peut tantôt jouer le rôle d'organisateur
textuel, tantôt servir de marqueur de relation, par exemple donc (dans
les deux cas, sa fonction syntaxique est d'être un coordonnant).
Différentes activités peuvent être menées pour
amener les élèves à observer et à utiliser ces marques d'organisation du texte
(Bessonnat, 1988 ; Blain, 1990a et b).
La reprise de l'information par l'emploi de substituts
On a dit qu'un texte doit reprendre des éléments
pour que soit assurée sa continuité. Cependant, les standards stylistiques et
des normes scolaires (grille de correction des épreuves) condamnent la
répétition. Aussi faut-il enseigner aux élèves les différentes façons
d'assurer la reprise de l'information sans nécessairement reprendre les mêmes
mots et les mêmes structures. Plusieurs mécanismes de reprise existent ;
il doivent être observés, reconnus et expérimentés.
Les élèves connaissent depuis longtemps le phénomène
de pronominalisation, qui permet de reprendre ou rappeler un nom sans avoir à
le répéter. Les pronoms sont les substituts les plus courants ; ils
peuvent reprendre un GN, un GV, un Gadj et une P. Cependant, à l'écrit, la
reprise par pronom est souvent difficile. Si elle n'est pas bien assurée,
elle peut entraîner des ambiguïtés dans le texte. Le travail sur les pronoms
(en 1re secondaire) doit permettre aux élèves de maîtriser
l'emploi des pronoms comme substituts. Le phénomène de détermination du nom
(par l'emploi d'un déterminant défini, indéfini, démonstratif, possessif,
etc.) est aussi intéressant pour reprendre de l'information tout en la modifiant
quelque peu : un citoyen --> tout citoyen ; l'entente
--> cette entente (ici encore le travail sur les déterminants est
d'autant plus nécessaire que ces mots jouent un rôle important dans la
reprise de l'information).
La reprise d'éléments peut se faire aussi grâce à
des changements lexicaux comme l'emploi de synonymes, de parasynonymes, de
termes génériques ou spécifiques et de termes synthétiques (ce fait, ces
facteurs, ces problèmes...). Enfin, le travail sur la dérivation lexicale
est fondamental pour accroître le lexique des élèves, mais aussi pour les
aider à assurer la reprise de l'information. On le voit, travail sur le
lexique et travail en grammaire du texte se conjuguent.
La progression de l'information : notions de thème et de propos
Il peut être intéressant de comprendre comment un
texte progresse par un apport successif d'informations de phrase en phrase.
Les nouvelles informations apportées se nomment « propos ». Dans
chaque phrase, on peut distinguer un thème, qui est de l'information reprise,
déjà connue, du propos. On appelle « progression thématique » la
façon dont l'information progresse dans un texte (Genevay, 1994).
Il y a plusieurs façons de faire progresser un
texte, donc plusieurs types de progressions thématiques. Les connaître permet
de dégager le plan d'une partie ou de la totalité d'un développement dans un
texte. Les textes descriptifs et explicatifs procèdent souvent selon une
progression où un thème est développé par plusieurs phrases présentant les
différents aspects du thème (Blain, 1990a et b ; Combettes, 1980 ;
Genevay et al., 1987).
Pour maintenir une progression constante de
l'information, il arrive que le scripteur utilise des formes de phrases qui
modifient la répartition de l'information. Par exemple, après une phrase
active où l'information nouvelle se trouve dans le GV, le recours à une
phrase passive permet de reprendre l'information du propos de la phrase
précédente et de le mettre en position de thème dans le groupe sujet de la
phrase qui suit pour assurer une meilleure continuité. Les phrases
emphatiques ont pour conséquence de mettre en position de thème des éléments
qui autrement seraient en position de propos. Par contre, les phrases
impersonnelles et à présentatif mettent l'accent sur le propos. On peut
sensibiliser les élèves aux possibilités qu'offrent les différentes
structures de phrases dans la perspective de la répartition de l'information
dans un texte. Cette sensibilisation en 4e et 5e
secondaire doit se faire par l'observation de ce phénomène dans les textes
travaillés en classe au moment du travail de reconstitution de l'organisation
des textes, en lecture.
Le système verbal : un facteur important pour la cohérence du texte
En dehors du phénomène traditionnellement nommé
« concordance des temps », qui renvoie uniquement aux rapports
temporels et modaux des verbes à l'intérieur d'une phrase, l'utilisation
adéquate des temps et modes verbaux est un phénomène essentiellement textuel.
Le système verbal est un des aspects de la gestion verbale (les autres étant
la chronologie, l'aspect sous lequel le processus est décrit et la
modalisation). On distingue deux grands ensembles dans le système verbal en
français : celui du récit d'événements passés (celui des textes de type
narratif qui, généralement, utilisent une combinaison de temps du passé --
passé simple, imparfait, passé composé, etc.) et celui dit du discours (qui
correspond aux textes courants, où ce qui est dit est contemporain de
l'énonciation). Le système verbal joue un grand rôle dans la cohérence d'un
texte : il permet de situer ce qui est dit par rapport au moment de
l'énonciation et de la réception.
La notion de point de vue et l'expression de la modalisation
La notion de point de vue est délicate, mais elle
est centrale pour l'analyse des textes. Toute personne qui écrit un texte se
situe comme producteur ou énonciateur dans son texte. Elle indique comment il
faut interpréter le contenu du texte, comment il faut la considérer en tant
que productrice de texte (elle donne une image de soi) et comment elle se
situe par rapport au destinataire de son texte (position d'égalité ou
d'inégalité) ; tous ces éléments constituent le point de vue adopté par
elle.
On pourrait faire une typologie des genres de textes
à partir du type de point de vue adopté par l'énonciateur. La démonstration
mathématique, par exemple, serait à un bout du continuum qui se terminerait
par un poème engagé écrit à la première personne. Ainsi, l'énonciateur peut
complètement s'effacer, n'interpeller aucun destinataire dans son texte
(point de vue distancié), comme il peut être très présent et interpeller
fortement son destinataire (point de vue engagé). On dit couramment qu'il
adopte un « ton neutre » dans le premier cas et un « ton
engagé » dans le second. La langue offre plusieurs ressources pour
l'expression du point de vue : l'emploi de pronoms nominaux (je,
nous, tu, vous, on) et un ensemble de marques dites de modalité
(Chevalier, 1995).
La modalisation : une opération langagière des plus courantes
La modalisation est une opération langagière qui
permet à l'énonciateur d'exprimer son point de vue. Cette opération est
réalisée à l'aide de plusieurs ressources langagières :
Savoir intégrer des discours
rapportés
L'énonciateur juge souvent opportun de faire appel à
du discours rapporté, c'est-à-dire à l'intégration de fragments de textes ou
discours produits à l'extérieur de son propre texte. La tradition
grammaticale retient le discours direct, le discours indirect et le discours
indirect libre (dans les textes littéraires surtout).
Ces fragments de texte empruntés prennent
différentes formes : dialogue ou monologue dans un récit ;
citation ; mot entre guillemets pour indiquer sa provenance étrangère à
l'énonciation en cours ; modalisation d'un autre discours (Jean a
réussi, à ce que l'on dit.) et référence à un énonciateur collectif (L'histoire
nous apprend que... Ce débat fait la une des journaux depuis des semaines.)
L'intégration de discours rapportés dans un texte
pose de nombreux problèmes relevant de la syntaxe et de l'organisation de la
cohérence du texte. Aussi faut-il les faire observer dans les textes
explicatifs et argumentatifs où ils sont particulièrement nombreux pour
amener les élèves à les utiliser adéquatement (Blain, 1990b ; Genevay et
al., 1987).
Enseigner la grammaire du texte constitue un nouveau
défi pour les enseignants du secondaire. Cependant, on compte déjà sur un
certain nombre d'études didactiques et d'exemples d'activités d'apprentissage
particulièrement intéressants. C'est pourquoi nous avons jugé important de
proposer ici une brève bibliographie [2].
Références
bibliographiques
BESSONAT, Daniel. « Le découpage en
paragraphes », Pratiques, no 57, 1988, p. 81-105.
BLAIN, Raymond. Guide d'écriture,
Boucherville, Graficor, 2e édition, 1990a, 174 p.
BLAIN, Raymond, Danielle FERLAND, Diane LAVOIE et
Lise RAYMOND. Pratiques d'écriture -- Cahier C, Boucherville, Vézina
édition, 1990b, 160 p.
CHEVALIER, Gisèle. « Pour une grammaire des
opérations langagières : l'exemple de la modalisation », dans Pour
un nouvel enseignement de la grammaire, coll. sous la dir. de Suzanne-G.
Chartrand, Montréal, Les Éditions Logiques, 1995, p. 167-192.
COMBETTES, Bernard, Jacques FRESSON et Roberte
TOMASSONE. De la phrase au texte 3e et Guide pédagogique
3e, Paris, Delagrave, 1980.
GENEVAY, Éric. Ouvrir la grammaire, Lausanne,
Montréal, LEP -- La Chenelière, 1994, 274 p.
GENEVAY, Éric. « S'il vous plaît... invente-moi
une grammaire ! » dans Pour un nouvel enseignement de la
grammaire, coll. sous la dir. de Suzanne-G. Chartrand, Montréal, Les
Éditions Logiques, 1995, p. 51-82.
GENEVAY, Éric, Bertrand LIPP et Gilbert SCHOENI. Français
9e, Notes méthodologiques, Département de l'Instruction publique et des
cultes du canton de Vaud, Lausanne, Éditions LEP, 1987, 271 p.
MOFFET, Jean-Denis. Je pense donc j'écris,
Saint-Laurent, ERPI, 1993, 137 p.
VANDENDORPE, Christian. « Au-delà de la
phrase : la grammaire du texte » dans Pour un nouvel
enseignement de la grammaire, coll. sous la dir. de Suzanne-G. Chartrand,
Montréal, Les Éditions Logiques, 1995, p. 83-105.
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samedi 28 novembre 2015
Les composantes d'une grammaire du texte
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